Arte, les dessous d'un tournage (1)

Grosse pluie sur la 37

C'était le 17 octobre 2015. Il pleuvait des cordes. J'avais rendez-vous avec István Szepsy, à Mád. Le vigneron était dans une phase dépressive - la morosité du ciel aidant sûrement - et il se confia à moi, comme il lui arrive de le faire, autour d'un verre dans son fief,  l'Első Mádi Ház, un café au style italien à l'entrée de la bourgade. Il faisait le point sur les vingt dernières années, à l'aide d'un crayon et d'un papier sur lequel il dessinait des courbes et des chiffres, et se posait plein de questions sur l'avenir et les nouvelles directions à prendre pour ses soixante hectares de vignes et ses vins. Habitué à rebondir - il n'est pas le plus impressionnant et le plus respecté des producteurs de Tokaj pour rien -, il me dressa, dans un nouvel élan, un tableau enthousiaste et plutôt culotté de son projet : faire des Aszú de Crus, et les vendre en petites quantités à des prix astronomiques.


Bouche à l'envers

Mais le ciel en avait décidé autrement pour cette vendange 2015. Il était peu avant midi quand nous nous quittâmes. Nous étions dépités, l'un comme l'autre. Tout ce qu'il venait de m'exposer tombait à l'eau et nous le savions parfaitement : il y a des petites pluies, bénéfiques et nécessaires à la poussée de la pourriture noble. Il y a  les averses, rapides et peu destructrices. Et il y a cette eau, plombante, continue, venant anéantir tout le potentiel extraordinaire de Tokaj. Incessante, tenace, mouillante, collante, celle dont on rêve quand la sécheresse vous mord, celle dont on rêve de récolter les fruits, car l'eau est précieuse. Mais celle que l'on déteste lorsqu'elle se déverse d'un trait après avoir attendu des mois, pile poil au moment où tout peut encore se passer, où les vendanges tardives sont encore palpables. Là, vous les voyez ces visages creusés par l'angoisse, les yeux gonflés, la bouche à l'envers.

István se sentait vide. Il savait que c'était fichu pour cette année. Il se tenait sur le pas de la porte. Ses yeux plissés regardaient les trombes d'eau s'abattre comme autant de cascades et je le quittai en lui glissant tout de même une petite larme d'espoir. Je roulais doucement, prudemment, les essuie-glaces à fond. Je pensais à mon équipe d'Arte dont l'arrivée était prévue pour le lendemain. Or, ce samedi était un désastre. La date de leur venue avait été maintes fois réfléchie, mille fois pensée et plusieurs fois décalée. Pas trop tôt... Il n'y aurait que des raisins sains. Pas trop tard non plus, il risquerait de ne plus rien rester, ni de raisins botrytisés, ni de raisins tout court. Le temps est imprévisible, et à Tokaj encore plus qu'ailleurs. Nous jonglerions. Nous nous arrêtâmes é à la mi-octobre, souvent propice à l'excellence de la pourriture noble et dans les belles années, à la beauté de l'été indien, le temps idéal pour vendanger chez nous. A condition que...


Des Vignes et des Hommes

Mais ce samedi midi, le 15 octobre, me glaçait : comment allions-nous faire pour leur montrer des grains aszú ? Avec cette pluie battante, ils seraient délavés, vidés de leur substance, imprésentables. On allait patauger dans la boue et les flaques. Il nous restait les caves et les archives, les lieux couverts. Ouf ! Je réfléchissais à la perspective de cette semaine que j'attendais, que nous attendions depuis longtemps déjà, depuis que le réalisateur Vincent Pérazio et sa boîte Grand Angle Productions m'avaient contactée pour camper le scénario. "Une série de vingt films sur le vin qui s'appellera des Vignes et des Hommes". Ils m'avaient repérée grâce à mon livre Vins de Tokaj, Esprit et images de la Hongrie, paru en 2001. Je n'avais pas hésité. Tout se mit en route, très vite, et surtout avec la simplicité qui caractérise les grands professionnels rompus à l'exercice. Ce n'était pas la première fois qu'on nous contactait pour faire un film. Mais celle-ci fut la bonne.


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