Avoir 20 ans en 2020

Augustin est né le samedi 13 mai 2000 à 6h45. Enfant du siècle, bébé du millénaire, il fut notre cadeau commun à Samuel et moi. Ce petit miraculé a la chance extraordinaire d’avoir 20 ans en 2020. Voilà pourquoi.

Augustin à deux ans avec son doudou livre tient la main d'Augustin de 20 ans.


Samuel est né le 3 mai, moi le 23. Alors quand Augustin a pointé son nez le 13 mai au petit matin, à la date prévue, ce fut pour nous un double miracle. Le seul fait de naître, d’abord, et d’arriver parmi nous sans séquelle (ce n’était pas gagné). Ajouté à cela, le fait d’arriver pile entre nos deux anniversaires et pile le jour prévu (la naissance était supputée depuis le début pour le 13 mai) ce qui, j’avoue, en étonna plus d’un. Nous fîmes même, Augustin et moi, l’objet d’une brève dans le journal où je travaillais à l’époque, brève qui signalait l’exceptionnelle ponctualité de la maman (merci Chantalou !). Du jamais vu. Je tiens à souligner qu’une naissance ne se commande pas, donc merci Augustin d’avoir sauvé la réputation de ta « pauvre mère » en arrivant sur terre !

« Encore un lalou ! »

Comme tous les papas et les mamans qui voient leur tout premier bébé, on l’a trouvé magnifique. Il avait une tête impossible. L’infirmière l’avait coiffé (par inadvertance ?) en iroquois lors de son premier bain. Il garda ce look longtemps. Il eut la jaunisse au bout de trois jours. Avec ses cheveux noirs dressés sur la tête et sa peau jaune, on aurait pu le perdre dans les couloirs. Combien m’ont demandé : « T’es sûr que le papa n’est pas chinois ? » Augustin affichait donc, dès la naissance, un petit air asiatique. Mais s’il a gardé ses yeux plissés, les portraits de lui, comparés à ceux de ses parents, ont montré très vite un mélange savant qui rendait impossible l’idée qu’il ait pu ressembler à l’un plus qu’à l’autre. En fait, c’était leur portrait tout craché, au père comme à la mère. Avec une caractéristique flagrante : un nez en triangle qui lui restera longtemps, quand son frère Mehdi arborait une bille au bout de la truffe et celui de Darius avait des airs d’empereur. Ce triangle, à ce jour, a légèrement disparu pour avoir bien grandi.

A deux ans, il voyageait déjà beaucoup et développait son côté social en posant ses mains potelées sur les genoux des dames et en penchant la tête en guise de clin d’oeil, dans les compartiments des longs trains qui nous emmenaient à travers l’Europe, de Paris à Olaszliszka. Ces espaces roulants, il les adorait et les appelait les « lalous ». Nous n’avons jamais su pourquoi. « Encore un lalou ! », hurlait-il quand on entrait en gare, son triangle collé à la vitre.

« C’est beau toute la famille ! »

Je l’emmenais partout, jusqu’en Afrique du Sud avec Air France, au bout du cap de Bonne Espérance. Il avait six mois et sa peau diaphane contrastait avec celle, cuivrée, de la belle nounou qui le gardait quand je partais en reportage. Je le retrouvais enfoui entre ses tétous, le soir en rentrant, assoupis dans ses rêves.

Augustin a toujours eu beaucoup de chance. Ses premiers pas à l’école, il les a faits à Paulhan, dans le Languedoc, plutôt assis d’ailleurs sur les genoux d’une maîtresse sous le charme (encore une !), puis à Perret, un village éloigné de quelques rangs de vigne. Il est le seul de nos trois enfants à avoir bénéficié d’une très spéciale double scolarité puisqu’il allait, un mois sur deux, à l’école française (les deux autres n’ont connu que la maternelle hongroise). Quand nous déménageâmes définitivement à Olaszliszka, en septembre 2004, pour vivre enfin tous ensemble, il n’avait qu’une expression en tête, qu’il utilisait à tout vent pour exprimer sa gratitude et son bonheur total : « Toute la famille ! Je t’aime maman, je t’aime papa toute la famille », ce qui signifiait « énormément ». La boucle était bouclée et notre freluquet pouvait partir sur de bonnes bases.

Ouverture sur le monde

Avoir 20 ans en l’an 2020 est une chance formidable quand on a reçu autant qu’Augustin a pu recevoir. Il a grandi dans son village multiculturel, au son des chants tsiganes. A l’école primaire, il avait deux copines qui l’escortaient, l’une blonde comme neige, l’autre à la peau mate et aux cheveux noirs de geai. Il a fait du solfège, de la flûte et de la trompette selon la méthode Kodály. A 5 ans, il savait lire. Le livre d’apprentissage, un peu poussiéreux, était le mien et datait des années 60. Nous nous asseyions sur le pas de la porte, sous la treille, et nous faisions les gestes qui correspondaient aux lettres. Vingt ans plus tard, il est le plus gros lecteur que je connaisse, avec son père. Un fou de lecture. Il lit invariablement en anglais, en français et en hongrois, voire en chinois. Il lit sur papier autant que sur ordi, tablette... La complète de GOT (Game of Thrones) et Harry Potter y sont passés, puis des bouquins d’histoire, des romans de toutes les époques et tous les styles, des livres de physique offerts par son oncle chercheur à l’IPGP (Institut de physique du globe de Paris), des recueils de poèmes, des ouvrages de géopolitique. Il fallait le voir, caressant un livre vieux de quatre siècles que nous avons récupéré d’un grand oncle : il a tenu, lors de notre dernier voyage en France, à le rapporter dans ses bagages. Il trône dans sa bibliothèque.

Il a reçu tout autant de ses deux petits frères, Mehdi, né en mars 2002 et Darius, en janvier 2004, de leur complicité, de leur jalousie, de leurs farces et de leurs facéties. Il a reçu de leur nounou commune, Ica, qui s’en est occupé depuis toujours, de ses dévouées maîtresses à Olaszliszka. Et puis, il a beaucoup reçu des Jésuites. Leur enseignement, leur liberté, leur capacité à donner et à recevoir, à répandre énergie et positivisme, les scouts, les retraites, les messes, les randonnées, les voyages ! Neuf années d’une incroyable richesse que je souhaiterais à tout adolescent. Et surtout, cette ouverture sur le monde. Tout, jusqu’au confinement, était prétexte dans ce collège-lycée aux voyages et aux échanges internationaux. Dès la mi-mars a été annulé, entre autres, un séjour à Barcelone où Augustin se réjouissait d’avance de participer à un « parlement d’étudiants » du monde entier, dans le cadre du JEEP (Jesuit European Educational Project).

Un obstacle parmi d’autres

Avoir 20 ans en l’an 2020 n’est pas exclusivement une page noire criblée de craintes et de doutes. Ce n’est pas qu’une intrusion étouffante et sans fin du coronavirus, de cette pandémie qui a envahi nos vies à tous de la Chine à l’Europe, de l’Afrique du Sud à la Californie et l’Australie, etc. Qui empêche les médias de parler d’autre chose que de morts, de hausses, de baisses, de con, de dé, de finement. Masques, barrières, gel hydroalcoolique, mesures, tous ces mots qui forgent notre quotidien à tous depuis des mois.

Avoir 20 ans en l’an 2000, c’est bien autre chose, heureusement. C’est un défi avec autant de chances et de bagages inépuisables si le jeune sait les utiliser à bon escient. Augustin a beaucoup, beaucoup de chance. Et il en est conscient et reconnaissant. Mais il n’est pas seul dans cette situation.
Cette histoire de pandémie n’est qu’un obstacle parmi d’autres qui rend la vie plus complexe et plus risquée. Nous avions eu peur lors de la grippe aviaire, car notre gamin, fragile des poumons à l’époque, nécessitait une surveillance forte. Certes, nous avons eu la chance, jusqu’à aujourd’hui, de ne pas être touchés ni coulés par l’épidémie (juste financièrement comme beaucoup d’entreprises). Même notre vieil oncle Alain, pourtant bien exposé, a bravé la Covid-19. Le déconfinement commence à peine, une deuxième vague est à redouter. Mais, pour ces gosses de 20 ans peu concernés, cette époque est formidable.

Je regarde à l’instant le dictionnaire des synonymes (sur internet) et je suis sidérée par les adjectifs qui sont proposés pour « jeune » : jeunet, jeunot, naïf, inexpérimenté, bleu, crédule, déficient, faible, godiche, ignorant, incapable (!!), imparfait, incomplet, infantile, ingénu, insuffisant, pubère, puéril, et je m’arrête là. Non, le jeune en 2020 est justement tout l’inverse : même s’il est encore candide et frais, heureusement, il n’est rien de tout cela ! Il en sait mille fois plus que ses aînés, sans hésitation. Le monde s’est inversé, et c’est tout à leur honneur. Faisons leur confiance !

Un désir fort de partage

-née avec internet, cette génération manie avec aisance et doigté (presque) la totalité de ce qui représente, pour nous les cinquantenaires et plus, une jungle sauvage. Il zappe, saute de reddit à twitter, se lave les dents et prend sa douche en écoutant en livre lu par une voix américaine que rien n’interrompt. Il dévore un ouvrage sur une tablette, laisse traîner dans la maison des bouquins en tout genre, dont le principal actuellement s’intitule Les Routes de la soie. Il a adopté les minuscules formats de poche que l’on glisse dans la main. Celui-ci est en hongrois. Il adore nous montrer, à son père et moi, le dernier « reportage » de Dirty Biology, l’étonnant Léo Grasset dont il admire les chroniques comme celles d’une série interminable de youtubers. Quel choix, quelle profusion ! Il piétine à l’idée de partager ce dernier film qui l’a marqué. Démonstrations, chiffres, décryptages, tout le passionne et surtout, surtout, l’envie de partager tout ce qu’il reçoit, jusqu’aux « memes » dont la subtilité nous échappe. Sans oublier les MOOC, mine de savoir inépuisable !

-il suffit d’une série de bons profs - ce qui n’est pas donné à tout le monde - pour accentuer la curiosité et développer encore plus la notion de critique et d’argumentation. Augustin est servi : Lajos bácsi, en histoire, l’a comblé et le comble encore après le bac. Cette matière, tout comme la géopolitique, le grise jusqu’à des heures indues.

-Augustin, conçu à l’ombre de l’éclipse du 11 août 1999, se voit astrophysicien. Jamais la recherche n’a été aussi active. Il vise loin, il vise haut. La suite lui donnera raison ou non. Il a tant de cordes à son arc, comme beaucoup de jeunes aujourd’hui, qu’il saura toujours rebondir.

-l’apprentissage des langues est une aubaine qu’il a su saisir. L’institut Confucius, par le biais de son lycée, lui tendait les bras. Il s’est plongé dans le chinois à 13 ans comme on joue à un jeu passionnant. Le week-end, il dessinait ses lettres sur le tableau Veleda et nous régalait de ses gammes impressionnantes, comme avec sa trompette. Son année en Chine, à Beijing, l’a renforcé dans l’apprentissage de ce langage difficile et jouissif. Il est parti grâce à l’AFS (Americain Field Service), un organisme efficace. Il a pu passer une année scolaire complète, d’août 2017 à juin 2018, que rien, ni même un virus, n’est venu interrompre. En semaine, il partageait ses journées avec une équipe d’étudiants thaïlandais et italiens, le week-end il baignait dans la Chine traditionnelle avec un couple devenu clairement sa deuxième famille. Le jeune homme de 17 ans avait adoré nous montrer « sa ville » qui nous avait donné le tournis. Nous (toute la famille Tinon, avec Isabelle, Pierre et Marie) gardons tous le sourire aux lèvres en pensant à ce jour mémorable où nous avons erré, bien assis sur nos vélos jaunes, dans cette mégapole aux voies cyclables larges comme des autoroutes. Inoubliable ! C’est là-bas, à Pékin, qu’il est « devenu un homme » en passant la barre des 18 ans.

-le confinement, s’il est vécu dans le luxe comme c’est notre cas, est un cadeau du ciel : Augustin n’a jamais été aussi proche de ses parents. Il n’a jamais autant profité d’eux et de ses frères. De son lieu de vie, de son jardin, de ses chiennes, de ses poules… Lui qui est pensionnaire depuis l’âge de 11 ans (la séparation fut un enfer !) et a passé une année scolaire à huit mille bornes de chez lui, être à la maison hors vacances est une expérience savoureuse, comme un retour à l’enfance. Il navigue entre sa chambre à coucher et son bureau qu’il a aménagé de façon confortable et pratique pour communiquer avec les profs et les élèves. Et pour préparer le bac. Pour nous, les parents, c’est une aubaine. On ne s’en lasse pas.

-il a passé les épreuves du bac. Non pas confiné, mais au lycée, où le retour auprès des profs et des copains, les nuits au pensionnat et les repas à la cantine, furent comme une sorte de délivrance, ou plutôt un « retour à la normale », des retrouvailles après une longue séparation forcée.

Avoir 20 ans en 2020, c’est inventer le siècle de A à Z

Chaque enfant privilégié (je dis bien privilégié) grandit sur terre avec, pour la plupart, au moins ces bases communes : un smartphone, internet, l’accès à un savoir inépuisable, un toit, de quoi manger tous les jours, dans l’assiette et dans la tête. Du lait, du calcium, de quoi grandir pour devenir adulte. Pour tous, le contexte mondial est le même, surtout depuis janvier dernier où le virus a propagé, hormis la peur et la mort, une sorte d’unilatéralisme, d’égalité d’un pays à l’autre face à cette nouvelle menace. Fei Fei, le « petit frère » chinois d’Augustin (un an de moins mais deux têtes de plus) a lui aussi connu le confinement pendant des mois, l’économie de son pays a été aussi ralentie. Le temps qui passe est le même pour tous. Ce qui fait, ensuite, la différence, ce sont les clés fournies par les parents et la famille (grands-parents, parrain, marraine…), l’amour, l’amitié, l’expérience, l’environnement et le partage.

Une terre pleine de promesses

Au début du printemps 2020, au moment de candidater à une prépa en France, Augustin doit écrire un résumé de sa vie, plusieurs textes variés sur ses objectifs, ses atouts et ses défauts. Il se rend compte à quel point son bagage est varié et copieux, comme un repas de roi. Il se rend compte que son multilinguisme lui ouvrira plein de portes, probablement. Il se rend compte qu’il a, tout de même, deux, voire trois ans de « retard » relatif sur ses camarades qui se présentent. Un décalage dû à la Hongrie d’une part (il est rentré à 7 ans en primaire et le collège et lycée se déroulent en huit années contre sept en France), à son année « off » en Chine, en équivalent première, qui l’a obligé à « redoubler » pour un an. Il espère juste que ce détail de taille ne sera pas balayé lorsque les recruteurs dépouilleront les dossiers.

Heureux, rempli de joie de vivre, de soif d’apprendre et d’emmagasiner des tonnes de savoirs, Augustin aborde la vingtaine comme une terre pleine de promesse. L’horizon, ondulé et beau comme un paysage varié, lui offre plein de possibles. Ce bébé qui, en quelques secondes haletantes, était à deux doigts de s’éteindre le 13 mai 2000, est ce matin un grand gaillard, cheveux longs et bouclés, de grosses anglaises rebondissant sur ses épaules. Derrière son collier de barbe légère, il sourit à l’avenir. Et nous inonde de blagues. Bon anniversaire, notre Augustin !


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