Quand Vivaldi et Tokaji Aszú convolent

Ne vous arrive-t-il pas de vivre une situation "innocente" qui s'avérera, des années après, d'une grande importance pour vous ? Comme un concert d'interprètes inconnus (de vous), que vous découvrez par le plus grand des hasards, lors d'un festival. Sur le coup, vous vous rendez bien compte que c'est exceptionnel, ce concert. Qu'il s'y passe quelque chose de plus que d'habitude. Mais à ce point...

Madame ma Mère au Festival du Zemplén. Crédit M.H.


Jubilatoire

Nous fêtons nos dix ans de mariage, en plein été 2009. En plein festivals estivaux. Le Piémont de Tokaj en est gorgé de début juillet à la fin août. Le pays de la musique, de Ferenc Liszt et de Zoltán Kodály, se déchaîne dans la région des grands liquoreux alors que le soleil est au zénith. Tous ceux qui choisissent cette période de l'année pour la découvrir sont servis. Demandez aux sommeliers allemands que vous invitions lors du festival du Zemplén, qui bouillonne au coeur du mois d'août. Demandez aux passionnés de musique qui enchaînent les concerts du Crescendo, un camp d'été international. Demandez à ma mère que je n'ai jamais vu autant sourire que dans ces concerts donnés en plein air, dans l'herbe verte devant les caves, ou dans le ventre des églises. Je l'ai vue jubiler au son des violons, des violoncelles, des flûtes, des pianos, des orchestres symphoniques d'ouverture et de fermeture des festivités, dans la cour du château de Sárospatak ! Et voir ainsi le visage maternel éclairé de beauté et de lumière musicale fait grandir en nous cette richesse intérieure qui nous rend si heureux et si paisible.

Demandez à nos amis, à nos soeurs et nos cousins venus festoyer en cet été 2009. Les concerts pullulent. Un dimanche, nous voilà partis en petits groupes, ici et là. J'emmène quelques amis, ma mère et mes trois garçons à Erdöbénye, où le Bor Mámor Bénye est alors organisé par notre ami et vigneron Attila Homonna dont la sélection d'artistes est pointue. Le village sonne la fête, caves ouvertes, dégustations, frichtis gastronomiques, animations. Et des concerts, rock, jazz, classiques. Dans l'église réformée est annoncé un groupe de quatre saxophonistes accompagnés d'une soprano, le Budapest Saxophone Quartet. Nous nous installons au centre de l'église, au premier rang. Les instruments brillent dans la fraîcheur du temple. Les enfants affichent un silence monastique. A 9 ans, 7 ans, 5 ans, ils sont encore sages et me suivent comme des canetons. Ils aiment la musique et je sais qu'au fond d'eux, ils posséderont à tout jamais la force intense de ce répertoire.


Unisson

Vivaldi, Bach, Händel, Fauré, Mendelssohn, Mozart, que demander de plus ? La voix de Krisztina Jónás* remplit l'église. Nous sommes ma mère, Augustin, Mehdi , Darius et moi sur un tapis volant qui nous transporte au-dessus des plus beaux sites colorés du monde. Le "Nulla in mundo et pax sincera" de Vivaldi tranche comme un air de pure divinité. Je ne le connaissais pas. Qui d'entre vous le connaît, cet air ? En l'écoutant, je rêve d'un Aszú, un grand Aszú coulant dans le corps, chaque note se mariant parfaitement au moindre arôme perçu dans le vin. On parle souvent du couple que forment le vin et la musique. Et ce mariage entre "Nulla in mundo et pax sincera" et l'Aszú, me dis-je, est probablement l'un des plus beaux qui soient. Je l'ai testé sur les sommeliers allemands. Nous étions assis, dans la cuisine, les yeux fermés. J'avais mis le cd, et l'Aszú que nous avions servi chantait avec l'interprétation de la soprano hongroise. A l'unisson.

Je n'ai acheté qu'un seul cd à la fin du concert, ou deux peut-être pour en offrir un. Je n'aurais jamais pensé qu'il me suivrait à ce point. Il est l'un des trésors de notre cd-thèque. Quant à Vivaldi, son buste trône dans l'allée Erzsébet, à Sárospatak. Tiens, tiens...

*Krisztina Jónás est née en 1973 à Kazincbarcika. Elle a obtenu son diplôme de l'Académie de musique Ferenc Liszt de Budapest en 1998. C'est l'une des plus grandes sopranos contemporaines de Hongrie.

Commentaires

Popular post

Le trio de Raphaël

La Reine Mère se fout du coronavirus

Avoir 20 ans en 2020